Justice et médias : communiquer pour rétablir la confiance dans la justice

27 février 2025

Entretien avec Éric Vaillant, avocat général près la cour d’appel de Caen, ancien procureur de la République près les tribunaux judiciaires de Douai, Cayenne et, jusqu’à très récemment, de Grenoble, qui faisait partie des magistrats du parquet qui ont co-animé à l’École, le 6 février dernier, des ateliers de média training avec des journalistes. Il revient sur l’intérêt de communiquer pour les juridictions, les précautions à prendre en matière de communication judiciaire… 

Justice et médias : communiquer pour rétablir la confiance dans la justice

En termes de communication judiciaire sur les affaires pénales, les magistrats du parquet doivent se référer à l’article 11 du code de la procédure pénale. Mais il n’est pas toujours facile de répondre aux sollicitations des journalistes tout en préservant le secret de l’enquête. 

Lors de la séquence « Justice et médias » organisée par le pôle communication judiciaire de l’ENM au début du mois, les élèves magistrats se sont notamment intéressés aux informations à communiquer à la presse ou, au contraire, à ne pas rendre publiques, mais aussi aux difficultés que les procureurs avaient pu rencontrer dans le cadre d’une communication sur une affaire en cours d’instruction. Ces échanges sont importants puisque même en début de carrière, un magistrat au parquet peut être amené à répondre ponctuellement à des interviews sur un événement grave de type criminel ou un accident collectif notamment.

Quel intérêt le parquet a-t-il à communiquer et quand doit-il le faire ?

« En tant que procureurs, nous communiquons parce que l’article 11 du code de la procédure pénale le prévoit expressément sur les affaires judiciaires. Cela nous permet d’expliquer que les actes de délinquance les plus graves donnent lieu à des enquêtes, à des interpellations, à des sanctions, et je pense que cela participe aussi à rassurer nos concitoyens. Leur justice fait son travail.

Lorsque l’affaire est médiatique, la prise de parole du magistrat du parquet peut intervenir à différents moments et de plusieurs façons, par le biais d’un communiqué de presse, d’une conférence de presse ou d’un simple échange avec un journaliste. Il faut essayer de juger le meilleur moment de communiquer tout en gardant en tête que la circulation de l’information va très vite.

Pour ma part, j’avais mis en place, en tant que procureur de Cayenne d’abord puis procureur de Grenoble ensuite, une boucle WhatsApp. Dans la dernière, à Grenoble, il y avait 330 journalistes, ce qui me permettait de communiquer très vite sur les affaires médiatiques, et parfois de temporiser, de leur demander d’attendre le communiqué un peu plus complet ou la conférence de presse. Par exemple, je pouvais déjà leur dire très vite et sans m’engager beaucoup : « J’ai ouvert une enquête qui a été confiée à tel service ». Cela nous laissait ensuite le temps de rédiger un communiqué de presse ou un projet de conférence de presse. L’intérêt de réagir ainsi très vite est d’éviter que des rumeurs se propagent, que de fausses informations soient relayées, mais c’est aussi de prendre la main sur la communication et de faire savoir que nous agissons. »

La communication judiciaire peut-elle nuire à une enquête ?

« Oui, c’est une évidence, il y a des choses qu’on ne peut pas dire pour éviter de nuire à l’enquête. Par exemple, quand un journaliste m’appelait pour me dire : « Je sais que vous recherchez untel et que vous avez des pistes sérieuses », je lui demandais de ne pas publier cette information parce que, même si l’individu se savait recherché, je n’avais pas envie qu’il apprenne par les médias que notre interpellation était prévue d’une minute à l’autre ou d’un jour à l’autre. En général, les journalistes le comprennent très bien et acceptent de ne pas diffuser l’information immédiatement. En contrepartie, je leur garantissais la primeur de l’information au moment de l’interpellation.

Par ailleurs, chaque fois que j’avais à communiquer sur une affaire qui était à l’instruction, je demandais au juge d’instruction de relire le projet de communiqué de presse que j’envoyais, ce qui lui permettait de m’indiquer qu’il préférait qu’on évite de parler de certaines choses : le nombre de coups de feu, ou de coups de couteaux par exemple, parce qu’il ne fallait pas que le mis en cause fasse ses réponses en fonction de ce qu’il avait pu lire dans la presse, etc. 

Et même en conférence de presse, face à certaines questions, j’ai régulièrement répondu : « Vous comprendrez que je ne puisse pas répondre à cette question » en évoquant le secret de l’enquête et les besoins de nos investigations, et en expliquant que je ne pouvais pas communiquer d’informations qui compliqueraient notre travail. Le plus souvent, les journalistes le comprenaient très bien. » 

Auriez-vous des exemples de précautions à prendre en matière de communication judiciaire ?

« Il faut évidemment bien peser ses mots. On n’interpelle pas un « auteur » de meurtre, on interpelle un « suspect », même s’il a été pris avec le couteau à la main, même s’il avoue immédiatement que c’est lui qui a tué : il reste un suspect qui va être mis en examen et qui est présumé innocent. Il ne faut en effet jamais perdre de vue que notre système juridique et judiciaire organise la présomption d’innocence et considère qu’elle est une valeur cardinale. De temps en temps, j’étais amené à le rappeler aux journalistes à la fin d’un communiqué ou d’une conférence de presse : « Le suspect qui a été interpellé et qui a été incarcéré reste néanmoins présumé innocent jusqu’à sa condamnation définitive par une juridiction. »

Par ailleurs, comme l’a dit Rémy Heitz, procureur général près la Cour de cassation, en introduction de la séquence « Justice et médias » proposée aux élèves magistrats de la promotion 2024, en matière de communication et notamment de communication sur les réseaux sociaux, il faut faire preuve à la fois d’audace et de prudence. Il faut oser, il faut se lancer, mais il faut aussi se former pour oser correctement, et toujours rester prudent malgré tout. J’ai coutume de dire que chaque fois que je poste un message sur un réseau social, je tourne mon doigt 7 fois sur le clavier avant. Si j’ai un doute, j’attends 24h pour savoir si le lendemain j’ai toujours ce projet de communication, et le plus souvent je l’abandonne finalement, parce que s’il y a un doute, c’est généralement que c’est une mauvaise idée : on peut se mettre en danger et mettre en danger notre institution, ça n’est surtout pas le but. »

La communication fait-elle partie du quotidien d’un magistrat du parquet ?

« Durant mes 6 ans d’exercice au parquet de Grenoble, la communication était un exercice quotidien, voire multiquotidien. J’ai communiqué tous les jours avec les journalistes, par WhatsApp comme je l’évoquais plus tôt, mais aussi par le biais d’interviews, de rendez-vous ou de posts sur les réseaux sociaux comme X, et de façon plus ponctuelle par la diffusion de communiqués ou l’organisation de conférences de presse. J’ai aussi demandé à mes substituts, vice-procureurs et procureurs-adjoint de ne pas hésiter à communiquer et les ai aidés à le faire.

Je suis convaincu qu’il faut que nous fassions savoir ce que nous faisons de bien dans les juridictions car nos concitoyens l’ignorent et ils sont persuadés que la justice est lente, complexe et laxiste. Si nous voulons changer les choses et rétablir la confiance de nos concitoyens dans la justice, il faut leur expliquer le fonctionnement de la justice et communiquer : sur les affaires judiciaires pour un procureur, sur le fonctionnement d’une procédure d’ordonnance de protection ou de divorce pour un juge… Il faut être extrêmement présents sur les réseaux sociaux, dans les médias en général, il faut communiquer beaucoup, et sans doute qu’il est possible de faire encore plus collectivement à l’avenir. »